« Tant d’horreurs n’auraient pas été possibles sans tant de vertus. Il a fallu, sans doute, beaucoup de science pour tuer tant d’hommes, dissiper tant de biens, anéantir tant de villes en si peu de temps ; mais il a fallu non moins de qualités morales. Savoir et Devoir, vous êtes donc suspects ? »

Paul Valéry, La crise de l’esprit, première lettre

La morale de Kant est un fétichisme de l’intention : la volonté y est bonne indépendamment de sa réalisation ou de sa frustration. L’action est belle quels que soient ses réussites ou ses échecs. « Ce qui fait que la bonne volonté est telle, ce ne sont pas ses œuvres ou ses succès, ce n’est pas son aptitude à atteindre tel ou tel but proposé, c’est seulement le vouloir »1. Mieux vaut donc agir fidèlement à la loi morale, même si l’action s’abîme sans cesse, car c’est l’acte qui est bon et non ses conséquences : quand bien même tous nos efforts seraient déçus, explique Kant, « [la bonne volonté] n’en brillerait pas moins, ainsi qu’un joyau, de son éclat à elle, comme quelque chose qui a en soi sa valeur tout entière ». On a souvent reproché au philosophe de Königsberg cette théorie qui se contente de la pureté de l’intention aux dépens de l’efficacité, un trait que Péguy a probablement porté mieux que quiconque : « Le kantisme a les mains pures, mais il n’a pas de mains. »

  1. Cette citation et la suivante proviennent de la première section des Fondements de la métaphysique des mœurs. []