Étiquette : politique Page 1 of 2

Fortune et virtù

Le Prince est un ouvrage étonnant et controversé. Jean-Jacques Rousseau le tient pour « le livre des républicains » quand Leo Strauss voit dans son auteur un « apôtre du mal ». À vrai dire, les intentions de Machiavel lui-même ne sont pas claires. Écrit-il seulement pour revenir en grâce auprès des Médicis ? Écrit-il pour le peuple, comme le pense Rousseau ? Croit-il en ce qu’il dit, dit-il tout ce qu’il croit ? On en doute d’autant plus que Machiavel était un républicain, et qu’il livre dans les Discours sur la première décade de Tite-Live une manière d’éloge de la république romaine. Pourtant, il ne se reniera jamais et, à lire correctement ce Prince que la postérité allait vouer aux gémonies, on se rend compte que tout est plus complexe. Derrière les conseils somme toute assez banals qu’il adresse au souverain de Florence, se cache une vision révolutionnaire de la politique, de l’éthique et de l’homme.

Éducation : une réévaluation pragmatiste

Il est commun de dépeindre l’histoire de l’enseignement comme le passage d’une éducation traditionnelle, centrée sur le professeur et la transmission de connaissances par l’imitation et un recours accru à la mémoire, à une éducation moderne, centrée sur l’élève et l’individualité, laissant un large espace à la pratique et à l’activité. Bien que simplificatrice, cette approche permet de mettre en lumière le tréfonds intellectuel (ou idéologique) qui justifie cette évolution.

En retraçant très rapidement les grands moments de cette transition, nous entendons mettre en lumière ses deux mouvements intimes, qui puisent leur source dans la révolution scientifique : le passage d’une vision qui asservit l’individu au tout de la société à une vision qui consacre l’individualité comme source de la connaissance ; un changement de regard sur les connaissances elles-mêmes, non plus héritées du passé, mais construites par l’expérimentation active. Ce mouvement peut globalement être interprété comme un passage de l’hétéronomie (politique et épistémologique) à l’autonomie, cette dernière constituant comme le vit Kant la clé des Lumières.

L’enjeu de cet article sera alors de montrer que ce passage a été trop radical sur la plan politique, et trop peu sur le plan épistémologique, ce qui appelle un rééquilibrage. Ce rééquilibrage, nous pensons pouvoir le trouver dans la pédagogie de John Dewey qui, loin de s’inscrire naïvement dans le mouvement de la modernité, en corrige bien plutôt les excès en livrant, dans une veine pragmatiste, (a) une vision socialisée et expérientielle de l’individu, en recul par rapport à l’autonomisation excessive de la modernité, et (b) une théorie des idées comme plans d’action, et donc de la vérité comme contextuelle, en rupture avec la conception des idées-reflets que la modernité a reconduit sans autre forme de procès.

L’immoralisme de Kant

« Tant d’horreurs n’auraient pas été possibles sans tant de vertus. Il a fallu, sans doute, beaucoup de science pour tuer tant d’hommes, dissiper tant de biens, anéantir tant de villes en si peu de temps ; mais il a fallu non moins de qualités morales. Savoir et Devoir, vous êtes donc suspects ? »

Paul Valéry, La crise de l’esprit, première lettre

La morale de Kant est un fétichisme de l’intention : la volonté y est bonne indépendamment de sa réalisation ou de sa frustration. L’action est belle quels que soient ses réussites ou ses échecs. « Ce qui fait que la bonne volonté est telle, ce ne sont pas ses œuvres ou ses succès, ce n’est pas son aptitude à atteindre tel ou tel but proposé, c’est seulement le vouloir »1. Mieux vaut donc agir fidèlement à la loi morale, même si l’action s’abîme sans cesse, car c’est l’acte qui est bon et non ses conséquences : quand bien même tous nos efforts seraient déçus, explique Kant, « [la bonne volonté] n’en brillerait pas moins, ainsi qu’un joyau, de son éclat à elle, comme quelque chose qui a en soi sa valeur tout entière ». On a souvent reproché au philosophe de Königsberg cette théorie qui se contente de la pureté de l’intention aux dépens de l’efficacité, un trait que Péguy a probablement porté mieux que quiconque : « Le kantisme a les mains pures, mais il n’a pas de mains. »

  1. Cette citation et la suivante proviennent de la première section des Fondements de la métaphysique des mœurs. []

Les électeurs cachés de Trump

Nous pensions connaître des choses sur les élections, les dynamiques de vote, la manière dont fonctionne la démocratie et les outils qui permettent d’en prendre le pouls. Force est de constater que nous péchions largement par optimisme. Beaucoup de nos certitudes en sciences politiques s’avèrent, à l’aune de la folle nuit électorale de mardi, qui a vu la victoire inattendue de Donald Trump, de bien piètres prétentions.

Clinton, future présidente d’une Amérique en lambeaux ?

À quelques jours des élections américaines, et alors que près d’un tiers des électeurs a déjà glissé son bulletin dans l’urne (une expression qui, à l’heure du vote électronique, est d’ailleurs de plus en plus métaphorique), l’issue du scrutin présidentiel ne fait plus guère de doute : Hillary Clinton, qui a fait la course en tête, remportera vraisemblablement la maison blanche et succédera à Barack Obama à la tête du pays. Les marchés de paris la donnent actuellement victorieuse avec une probabilité de près de 80 %1, en phase avec la plupart des modèles statistiques qui tentent d’anticiper les résultats à partir des sondages et des données socio-économiques du pays ; le New York Times évalue ainsi à 84 % les chances de succès de la candidate démocrate, et bon nombre d’autres modèles lui prédisent entre 86 % et 99 % de réussite2. Pourtant, si l’on en croit la presse, l’élection sera serrée, et le risque de voir Trump s’emparer in extremis de la présidence n’est pas nul. Le vote populaire n’est, en effet, pas nettement en faveur d’Hillary Clinton : si l’on s’en tient aux derniers sondages, l’écart entre les deux concurrents est des plus faibles – et se situe dans la marge d’erreur, ce qui semble laisser ouvertes toutes les portes3.

  1. https://electionbettingodds.com/ []
  2. http://www.nytimes.com/interactive/2016/upshot/presidential-polls-forecast.html []
  3. http://www.realclearpolitics.com/epolls/2016/president/us/general_election_trump_vs_clinton-5491.html []

Page 1 of 2

Fièrement propulsé par WordPress & Thème par Anders Norén