Logique de la haine

La guerre n’a pas ébranlé que les corps et les biens. Elle a aussi secoué les consciences. On a organisé, en plein cœur de l’Europe, l’extermination industrielle des Juifs, avec une méticulosité effrayante et un mépris de la vie humaine stupéfiant. L’un des acteurs de cette « solution finale » devait même déclarer à son procès, au début des années 60, qu’il avait agi selon la morale de Kant. En dépit de notre humanité, au mépris de notre rationalité, la Shoah a donc eu lieu, et le soupçon allait devoir se porter jusque sur nos certitudes les plus établies : « Tant d’horreurs n’auraient pas été possibles sans tant de vertus »1, écrit le poète. « Savoir et Devoir, vous êtes donc suspects ? » L’antisémitisme, responsable du crime le plus odieux de l’histoire humaine, devait être pour les penseurs de l’après-guerre ce faisceau de ténèbres qui éclairait leur temps2. « En même temps qu’un sujet d’horreur, écrit ainsi Merleau-Ponty dans La guerre a eu lieu, l’antisémitisme allemand devait être pour nous un mystère, et, formés comme nous l’étions, nous devions nous demander chaque jour pendant ces quatre années : comment l’antisémitisme est-il possible ? »3

Notre raison peine à en rendre compte jusqu’au bout. Elle semble buter sur « un élément de hasard et d’irrationalité pure »4. L’antisémitisme pourrait être le résultat d’un transfert passionnel, la recherche d’une victime expiatoire aux maux de la société, mais il ne peut s’agir d’une raison dernière : cela n’explique pas, en effet, pourquoi la fixation s’est faite sur le Juif en particulier. L’explication par transfert échoue à rendre pleinement compte de la haine. Comment chaque antisémite nazi, avec sa propre histoire, a-t-il pu succomber à la haine du seul Juif ? Il y a, dans l’abysse insondable de la passion, une effroyable régularité de la conclusion qui invite à l’enquête. Il faut que la haine ressortisse d’une logique qui, jusqu’alors, nous était étrangère. La secousse des années 40 devait compléter et dramatiser la question kantienne : qu’est-ce que l’homme, pour qu’il soit capable de telles horreurs ? Ou bien encore : comment la haine est-elle possible ?

Dans ses Réflexions sur la question juive, Sartre écrit qu’il y a, chez l’antisémite, « un dégoût du Juif »5. Il me semble qu’autour de ce seul sentiment peut se cristalliser l’essentiel de la haine. Le dégoût se manifeste par des réactions corporelles et affectives, comme la grimace, l’accélération du rythme cardiaque, ou encore la nausée, l’estomac noué. « Certains hommes sont frappés soudain d’impuissance s’ils apprennent de la femme avec qui ils font l’amour qu’elle est Juive »6, écrit même Sartre. Ce sentiment de dégoût s’enracine au plus profond de l’être : le dégoût est viscéral, irrépressible. Il a aussi ceci de particulier qu’il produit l’éloignement, la distanciation : ce qui nous dégoûte est dangereux, à éviter, et si possible à éliminer. C’est un problème à résoudre ou à fuir. Toutes ces caractéristiques, le dégoût les puise dans sa généalogie. Daniel Kelly avance ainsi7 que ce sentiment est l’intrication de deux mécanismes cognitifs bien distincts au départ : un mécanisme destiné à se prémunir du poison, et un autre destiné à éviter les parasites.

La première composante du dégoût est un « système de rejet de la nourriture » destiné à préserver l’organisme de denrées toxiques ou dangereuses. De nombreuses espèces animales développent ainsi une aversion envers des aliments qui provoquent, dans les douze heures suivant leur ingestion, des troubles digestifs8, selon la logique de l’adage : « Chat échaudé craint l’eau froide. » Cette aversion se traduit par un sentiment de nausée, et l’activation de muscles en vue du rejet de l’aliment détesté. La plupart des éléments affectifs du dégoût, comme le sentiment de nausée ou les expressions faciales, sont hérités d’un mécanisme de ce type, que Kelly appelle mécanisme anti-poison.

Le second mécanisme9 impliqué par le dégoût est un « système anti-parasites » qui peut être vu, selon les mots de Steven Pinker, comme une « microbiologie intuitive »10. De nombreux animaux mettent en œuvre spontanément des techniques prophylactiques (bains, lavage des aliments, etc.), mais aussi et surtout des réflexes d’éloignement de leurs congénères jugés dangereux, par l’odeur ou l’aspect par exemple. Tout ce qui est porteur de parasite ou en contact avec est donc perçu comme menaçant, et donc à éviter — « mieux vaut prévenir que guérir ». Juger l’objet du dégoût comme offensant, à rejeter, s’enracine dans ce mécanisme anti-parasite.

Kelly avance que le dégoût est l’intrication de ces deux mécanismes sous la pression de la sélection naturelle, et que cette intrication est propre à l’espèce humaine11. En particulier, la transition vers un régime alimentaire carné a suscité une large superposition fonctionnelle de ces deux systèmes : la viande avariée, de nature à déclencher le processus anti-poison, est aussi un vecteur privilégié de parasites. En fusionnant, ces deux mécanismes se sont renforcés : tout objet de dégoût suscite à la fois des réactions de rejets de type anti-poison, dont la nausée ou le vomissement constituent des exemples paradigmatiques, et des réactions d’évitement ou de crainte de type anti-parasite, qui conduisent à l’éloignement, sinon l’anéantissement, de l’objet en question.

Kelly fait un pas de plus : ce sentiment unifié de dégoût, une fois constitué, a pu être utilisé dans un but totalement différent de la simple protection contre les poisons et les maladies. Il a été « co-opté » pour jouer un rôle social, servant notamment à marquer la frontière entre les groupes ethniques12. Deux anthropologues évolutionnaires notent ainsi que « les jugements ethnocentriques surviennent facilement parce que “nous le peuple” nous comportons convenablement, alors que ces “autres” se comportement indécemment, que leurs actes suscitent le dégoût, sont immoraux, et qu’ils n’en ont même pas honte »13.

Nous pouvons tirer deux enseignements de cette histoire naturelle du dégoût. D’abord, même si cela reste anecdotique, il est intriguant de remarquer que le dégoût, qui permet la haine, s’enracine probablement en partie dans la transition vers un régime carné, éclairant sous un jour original l’idée déjà défendue par ailleurs que le paradigme de toutes les exclusions est le rejet originel de l’animal — ce que Milan Kundera appelait, dans L’insoutenable légèreté de l’être, la « faillite fondamentale de l’homme »14. Ensuite, et surtout, le dégoût constitue le nerf de la haine. Comme la haine, il est viscéral et se déclenche facilement, est rapide et ne nécessite pas de délibération pour se manifester (on peut même être dégoûté d’une chose malgré qu’on en ait), et une fois activé il se déploie sans qu’on y puisse grand-chose. À l’instar des ἕξεις aristotéliciennes, le dégoût semble difficile à endiguer ou à corriger, parce qu’il est profondément ancré.

Si donc l’antisémite est quelqu’un qui a peur, encore faut-il aussi qu’il soit dégoûté par le Juif. Si, comme le veut Sartre, « [le] Juif n’est ici qu’un prétexte »15 ; si « ailleurs on se servira du nègre, ailleurs du Jaune »16, il faut expliquer pourquoi chez tant d’Européens c’est plutôt le Juif qui a cristallisé la haine. Le dégoût décrit par Kelly permet de rendre compte de cette effroyable régularité de la haine, et ce d’autant plus évidemment que la diaspora juive a toujours été perçue comme vivant en communauté, avec ses traditions, sa religion, parfois même ses quartiers. Elle s’est toujours présentée, en Europe, comme un groupe social fermé, et l’on sait que le dégoût joue un rôle clé dans l’établissement des frontières sociales. On peut ainsi lire la funeste rencontre entre l’antisémite et sa victime comme le fruit d’un contexte historique et culturel, qui puise à maintes sources et fait du Juif un objet de dégoût par excellence. Comme les individus contaminés d’un groupe, l’objet par excellence du mécanisme anti-parasite est un autre soi-même ; mais un autre soi-même qui diffère tout de même assez pour incarner le danger du tout-autre. L’objet du dégoût par excellence, c’est donc celui qui se situe assez loin, mais tellement proche. Celui qui suscite le sentiment d’une inquiétante étrangeté (uncanniness).

Le dégoût est un processus cognitif qui agglomère des mécanismes ancestraux variés. Une fois constitué, ce sentiment nouveau les mêle : quand nous éprouvons du dégoût, nous éprouvons en même temps ce que les processus cognitifs sous-jacents impliquaient. En particulier, nous pensons que l’objet du dégoût est impur, mauvais. C’est ainsi que le dégoût du Juif entraîne quasi-mécaniquement l’impression qu’il est nocif, qu’il peut être un agent malsain. Lorsqu’il s’agit de trouver une cause à nos problèmes et qu’il faut désigner des coupables, cet homme dangereux en fait un idéal. Du tréfonds de nos entrailles peut surgir une haine viscérale que la raison, lorsqu’elle la prend pour argent comptant, réinvestit en l’enrichissant de propositions théoriques, en reliant des faits à sa lumière, et en tissant une toile dialectique qui revêt souvent des allures de complot. Elle en fait une clé d’explication du monde. C’est ainsi que l’on passe d’un dégoût primaire à une haine consentie.

Lorsque la raison ne fait qu’une incursion dans le domaine du dégoût, elle le transforme en haine. Il habille l’objet du dégoût avec ses fantasmes. Mais cette incursion reste superficielle – c’est le fait d’une raison trop peu sûre d’elle-même. Une réflexion plus puissante devrait permettre à tout individu de prendre acte de l’origine évolutionnaire de son dégoût, remarquer qu’il n’a aucune prétention morale, se dire qu’il doit à la vérité de résister à ses bas instincts. Cela suppose toutefois une certaine discipline intellectuelle. Ce qui caractérisait Eichmann, remarque Hannah Arendt dans La Vie de l’esprit, « ce n’était pas de la stupidité, mais un manque de pensée »17. Il ne s’agit pas de n’importe quelle manque de pensée, cependant. Dans Eichmann à Jérusalemn elle écrit encore : « Plus on l’écoutait, plus on se rendait à l’évidence que son incapacité à s’exprimer était étroitement liée à son incapacité à penser – à penser notamment du point de vue d’autrui. »18 Il s’agit d’une forme profonde de critique et d’empathie qui, lorsqu’elle fait défaut et ne parvient pas à remettre en question le dégoût, permet à l’esprit de le nourrir et de le renforcer.

Dans une dialectique étonnante, qui est aussi un cercle vicieux, raison et passions se renforcent alors, au travers d’une heuristique baptisée par Gérald Bronner « l’effet Othello »19. Dans la tragédie de Shakespeare, le maure de Venise tue Desdémone, dont il est pourtant éperdument épris, parce qu’il est persuadé par Iago qu’elle l’a trompé. Iago a monté de toutes pièces une histoire fausse mais probable, en mobilisant des événements qui ont vraiment eu lieu. Un scénario bien construit, qui permet de donner du sens à des faits a priori indépendants les uns des autres, et rend ainsi la conclusion du scénario plus crédible. C’est ce qu’exploitent les communicants lorsqu’ils s’adonnent au storytelling. C’est aussi une ficelle classique de la haine. Les fameux Protocoles des sages de Sion constituent un exemple de scénario de la haine. Élaboré par des antisémites, ce faux est pernicieux : en traçant une perspective, il rend l’antisémitisme plus évident. Lorsqu’elle n’a pas atteint le point critique de la dissolution des instincts impertinents, la raison les sertit dans des histoires affreuses. Pour parler comme les Grecs, la haine est mère du complot – mais ce dernier l’attise en retour. Le complot est élaboré par des agents de la haine et rend l’air du temps plus favorable à leur sombre passion. L’augmentation de la densité complotiste signifie autant une démission de la pensée qu’elle ne la provoque.

En résumé, la haine s’enracine dans le dégoût tel que Daniel Kelly le décrit, sentiment proprement humain qui mêle des processus cognitifs primitifs visant à protéger les premiers hommes des poisons et des parasites. Une fois mêlés, ces deux processus se co-réalisent – ce qui nous dégoûte sera toujours en même temps perçu comme dangereux, comme impur, comme devant être rejeté, etc. Le dégoût ainsi constitué peut alors trouver un nouvel usage : marquer les frontières des groupes sociaux. Mais puisque toutes les manifestations mêlées ont lieu, l’autre qui suscite le dégoût sera aussi perçu comme nuisible. Il constitue dès lors un coupable idéal. La haine est le nom qu’on donne au dégoût lorsqu’il est reconduit sans autre forme de procès par la raison.

Dire avec Sartre, après cela, que c’est « l’antisémite qui fait le Juif »20, et que « si le Juif n’existait pas, l’antisémite l’inventerait »21, c’est sans doute aller un peu vite. S’il s’agit de combler une peur qui est une peur « de tout sauf des Juifs »22, comment expliquer la fatalité de la victime juive ? Mais, d’un autre côté, une fois la victime désignée, toute l’histoire semble révisée à travers elle. La victime d’abord issue de l’expérience est ensuite convoquée pour l’éclairer sans cesse. C’est l’acteur du complot, l’objet de la haine qui est premier – mais il est réinvesti par celui qui le rejette. L’antisémite ne façonne pas son Juif à partir du chaos ; il le sélectionne parmi les objets de dégoût et l’habille ensuite à sa convenance. Il n’invente pas le Juif, il le réinvente. L’antisémite ne fait pas le Juif, il fait son Juif.

L’être humain n’est pas tout à fait rationnel, et le dédain entretenu vis-à-vis de ses instincts et de ses passions devait rendre la haine mystérieuse au sortir de la guerre. Si l’homme était cet animal rationnel popularisé par la tradition, le rejet d’autrui sans raison solide devrait être impossible — mais l’homme n’est pas d’abord et avant tout un animal rationnel. « Nous devons reconnaître que la conscience ordinaire de l’individu moyen – en tant que ce dernier est laissé à lui-même – est façonnée par le désir plus que par l’intellection, note John Dewey. L’homme n’est soustrait à l’influence primaire des peurs et des espoirs que lorsqu’il est soumis à une discipline qui est étrangère à la nature humaine ; du point de vue de l’homme naturel, cette discipline est artificielle. »23 Quelle preuve plus saisissante de ce fait que « ces autobus remplis d’enfants, place de la Contrescarpe »24 ?

Ce qui est vrai du Juif l’est, au fond, de tout persécuté. Notre monde est peuplé de fantômes. Il est envahi par les spectres de ceux qui ne parviendront jamais à trouver le repos tant leur fin fut terrible. « Les spectres essentiels sont des morts qui refuseront toujours de regagner leur rive, qui se désenvelopperont obstinément de leur linceul, pour déclarer aux vivants, contre toute évidence, que leur place est toujours parmi eux. Leur fin ne recèle aucun sens, n’accompagne aucun achèvement. »25 Ils nous hantent. La mélopée de leurs plaintes nous oblige à braquer notre attention sur la haine – pour que le repos déçu ne l’ait pas été en vain. Le cortège des âmes meurtries est grossi, sans repos, de toutes les victimes de la haine, du Noir passé à tabac outre-Atlantique à l’homosexuel qui met fin à ses jours pour échapper, ici, aux violences de la société.

Wilfred et Olivier n’avanceront plus main dans la main, désormais. Naimian ne reverra sans doute plus le pays qui l’a vu naître. Les premiers ont été roués de coups à Paris, en 201326, le troisième a fui l’Iran pour échapper à la pendaison27. L’homophobie est une haine extrême. Comme le remarque Boswell, la répartition des homosexuels est plus proche de celle des gauchers que de celle des Juifs ou des Noirs. Alors que les uns naissent dans des communautés qui peuvent offrir le soutien et le réconfort d’une solidarité face à l’adversité, cela n’est pas le cas de l’homosexuel. Il affronte seul l’oppression. Il est isolé face à la haine qui, parfois, l’environne jusque dans sa famille. Le malaise suscité n’en est que plus grand. Mais l’homophobie est aussi une haine symbolique, parce que c’est une haine de l’amour. Elle repousse des hommes pour ce qui les attire, elle déchire en raison des liens que l’autre tisse. Elle esquisse l’affrontement de deux camps ancestraux et nous invite à prendre position – c’est Ἔρως contre Θάνατος. Un choix que l’Antigone de Sophocle a d’ors-et-déjà tranché : « Je ne suis pas née pour partager la haine mais pour partager l’amour. »28

  1. Paul Valéry, La crise de l’esprit, extrait de Europes de l’antiquité au XXe siècle, Paris : Robert Laffont, 2000, p. 405—414. []
  2. « Contemporain est celui qui reçoit en plein visage le faisceau de ténèbres qui provient de son temps. » La phrase est de Giorgio Agamben dans : Qu’est-ce que le contemporain ?, Paris : Payot, 2004. []
  3. Maurice Merleau-Ponty, La guerre a eu lieu, Paris : Champ social, 2007, p. 28. []
  4. Ibid., p. 31. []
  5. Jean-Paul Sartre, Réflexions sur la question juive, Paris : Gallimard, 1954, p. 13. []
  6. Idem. []
  7. La théorie du dégoût sur laquelle je m’appuie est exposée et défendue dans : Daniel Kelly, Yuck! The Nature and Moral Significance of Disgust, Cambridge, Massachusetts :  MIT Press, 2011. []
  8. Ibid., p. 46—48. []
  9. Ibid., p. 48—52. []
  10. Steven Pinker, How the Mind Works, New York : Penguin Books, 1997, p. 383. []
  11. Kelly, Yuck!, op. cit., p. 53—59. []
  12. Ibid., p. 101—136. []
  13. R. Boyd et P. Richerson, The Origin and Evolution of Cultures, New-York : Oxford University Press, 2005, p. 101 ; nous traduisons et soulignons. []
  14. Milan Kundera, L’insoutenable légèreté de l’être, traduit par F. Kérel, Paris : Gallimard, coll. Folio, 1999, p. 421. Sur ces questions, voir aussi notre « Justice par-delà l’espèce ». []
  15. Sartre, Réflexions sur la question juive, op. cit., p. 57. []
  16. Idem. []
  17. Hannah Arendt, La vie de l’esprit, Paris : PUF, 1981. []
  18. Hannah Arendt, Eichmann à Jérusalem : Rapport sur la banalité du mal, traduit par Anne Guérin, Paris : Gallimard, 1966, nous soulignons. []
  19. Gérald Bronner, La démocratie des crédules, Paris : PUF, 2013, p. 195—200. []
  20. Sartre, Réflexions sur la question juive, op. cit., p. 75. []
  21. Ibid., p. 15. []
  22. Ibid., p. 57. []
  23. John Dewey, Reconstruction en philosophie, Paris : Gallimard, coll. Folio Essais. []
  24. Merleau-Ponty, La guerre a eu lieu, op. cit. []
  25. Quentin Meillassoux, « Deuil à venir, dieu à venir », Critique, 1/ 2006 (n° 704-705), pp. 105. []
  26. Charlie Duplan, « Deux homosexuels face à leurs agresseurs », Le Monde.fr, 6 mai 2014. []
  27. Armin Arefi, « Toujours aucun homosexuel en Iran », 5 mai 2010 ; il traduit un article de l’Iranienne Scheherezade Faramarzi, correspondante en Turquie de l’Associated Press. []
  28. Sophocle, Antigone, v. 523 : « οὔτοι συνέχθειν, ἀλλὰ συμφιλεῖν ἔφυν ». []

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  1. Emmanuel

    Eros et Thanatos… Dans ton dernier paragraphe.
    Brillant Nicolas.
    Et trop complexe pour en discuter numériquement.
    Mais je ne suis pas sûr que le dégoût soit le moteur principal de l’antisémitisme…

    • Nicolas

      Merci !

      Mon idée, c’est que la haine (en général) a pour soubassement l’émotion du dégoût, comme un point de départ. J’avais le sentiment que beaucoup d’expressions racistes y référaient (« ils me dégoûtent », « ils n’ont pas d’hygiène », etc.), et en particulier que l’homophobie en était allègrement nourrie (j’entendais il y a quelques années un maire du secteur dire : « Moi je n’ai rien contre les homosexuels, ils sont libres, mais je détourne le regard quand j’en vois à la télé. »). Du coup, quand j’avais lu sous la plume de Sartre cette idée que le Juif « dégoûte » l’antisémite, je me suis dit qu’il y avait quelque chose à creuser. Les esquisses de généalogie du dégoût qu’on trouve en psychologie évolutionnaire m’ont semblé étrangement opportunes, et en phase avec les manifestations classiques de haine.

      Ça laisse plein de questions ouvertes : je suppose en creux qu’il y a une unité de la « haine », qui serait un sentiment, mais rien n’est moins sûr. Peut-être, comme tu le suggères, que le dégoût n’est à l’origine que d’un type spécifique de haine — et cela pose la question de savoir, immédiatement, ce que c’est que la haine. Selon l’extension qu’on va donner à ce mot, la lecture « dégoût - haine » que je propose coïncidera ou n’en recouvrera qu’une partie.

      Pour affiner, et en présupposant que la « haine » désigne toute manifestation de rejet fondée sur un trait caractéristique (je rejette Paul, non parce que c’est Paul, mais parce qu’il est asiatique, par exemple), il semble qu’une large part du contenu de la haine est culturelle, ou acquise. Mais il faut rendre compte aussi d’une certaine régularité de la haine ; elle s’abat autour du monde, en général, sur certaines minorités - les homosexuels, les ethnies minoritaires baignées dans des groupes ethniques majoritaires, et non sur d’autres - les banquiers, par exemple, auraient pu tout à fait faire l’objet d’une haine dans les années 30-40, mais le transfert s’est plutôt porté sur les Juifs. Pourquoi ? L’idée ici serait que certaines cibles conviennent plus adéquatement à la haine que d’autres parce qu’elles répondent plus facilement aux mécanismes de dégoût.

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