Depuis qu’ils s’intéressent à l’analyse de la connaissance1, les philosophes ont acquis deux certitudes : la première, c’est qu’une connaissance est une croyance vraie ; la seconde, c’est qu’elle ne peut pas être que cela. La connaissance est la rencontre entre un état subjectif et un état objectif ou, plus exactement, elle consiste d’une façon ou d’une autre en un ajustement de nos états mentaux aux états du monde. Si Pierre sait que la Terre est ronde, cela signifie à la fois qu’il existe un contenu de pensée dans l’esprit de Pierre (Pierre croit que la Terre et ronde) et que ce contenu de pensée s’accorde avec la réalité (la Terre est vraiment ronde).

Avoir une croyance vraie par hasard ou pour de mauvaises raisons ne suffit cependant pas à en faire un savoir. Dès le Théétète, Platon remarquait qu’une « opinion droite » (c’est sa manière de parler de croyance vraie) seule ne peut faire une science2 : les avocats qui persuadent les foules conduisent leur auditoire à des croyances qui peuvent s’avérer ou non, et qui peuvent donc être vraies sans qu’on les juge comme des connaissances, soutient Socrate. De même, si l’horoscope annonce que les Gémeaux sont fatigués ce jour et qu’un individu se fonde sur cela pour se convaincre que son ami, né le 16 juin, est épuisé, il se peut fort bien qu’il ait raison (son ami a travaillé de nuit, par exemple) sans qu’on lui concède une connaissance – sa croyance n’est vraie que par hasard. Pour qu’une croyance vraie soit une connaissance, il faut donc en plus qu’elle ait été obtenue d’une manière qui en fonde solidement la crédibilité. Il faut, non seulement que l’on croit ce que l’on croit, mais que l’on ait des raisons de le croire. « Savoir c’est savoir qu’on sait. »3 Toute connaissance est réflexive ; toute intellection est en même temps conscience d’elle-même. Tout savoir qui s’ignore, qui n’est pas capable de se prouver lui-même, n’est pas une connaissance authentique.

Les épistémologues ont raffiné cette description analytique de la connaissance4 mais, pour ce qui nous intéresse, ils s’accordent en général à la définir comme une croyance vraie et justifiée. Toute connaissance est ainsi :

  • Une croyance, c’est-à-dire une disposition à l’action5, une modalité qui nous conduit à agir de certaines façons et non d’autres ;
  • Une croyance vraie, c’est-à-dire que l’action menée sous son influence est efficiente6, qu’elle remplit son office et fonctionne comme on l’entend ;
  • Une croyance justifiée, c’est-à-dire qui est obtenue selon un régime d’enquête particulier qui garantisse la solidité de la croyance7.

L’enjeu de la connaissance, et donc de la science, est tout entier concentré dans ce dernier point, celui de la justification. Développer une science rigoureuse revient à mettre en place des cadres d’enquête qui puissent permettre de fournir les raisons de croire. Voilà tout l’objet d’une logique de la science, que l’on peut encore appeler une méthodologie : définir une méthode de fixation des croyances qui soit adéquate.

La médecine, comme toute science, n’échappe pas à cet impératif. Jusqu’au tournant expérimental, impulsé en médecine par Claude Bernard au XIXe siècle8, le soin était largement fondé sur des principes a priori ou des intuitions, et sur des constats empiriques fortuits. On a notamment longtemps pensé, sur la foi d’une théorie humorale héritée de l’Antiquité gréco-romaine, que les pathologies étaient provoquées par un déséquilibre des fluides corporels (sang, lymphe, bile noire et bile jaune)9. Rétablir l’équilibre conduisait les praticiens à opérer des saignées10 ou à provoquer des purges destinées à évacuer le trop-plein d’humeur. Dans leur clinique, ces hommes étaient convaincus d’aider les malades, et ils comptaient chaque guérison comme preuve supplémentaire de l’efficacité du procédé. En analysant finement les statistiques d’une cohorte de patients atteints de maladies inflammatoires soignées par saignées, Pierre-Charles Alexandre Louis fut l’un des premiers à publier ses doutes au sujet de leur efficacité, en 182811.

Le papier de Louis tient encore largement de la science d’observation au sens de Bernard : aucune comparaison n’est effectuée, par exemple, entre des patients saignés et non-saignés. Contre des intuitions héritées d’un parti-pris idéologique, il tente cependant de ne s’attacher qu’aux faits. Il faut dire que, depuis plusieurs décennies désormais, la médecine galénique n’a plus le vent en poupe : l’efficacité limitée de ses effets, associée à des découvertes physiologiques contradictoires telles que la circulation sanguine par Harvey en 1628, remettaient en question ses enseignements. Dans le même temps, le tournant expérimental pris par les sciences au XVIIe siècle ne pouvait durablement se tenir à distance de la médecine – c’est ainsi qu’Ignace Philippe Semmelweis, médecin obstétricien, adopte une démarche d’enquête expérimentale pour montrer en 1847 l’efficacité du lavage des mains dans la prévention de la fièvre puerpérale12.

Dans son Introduction, Bernard note à raison que : « L’expérimentation est incontestablement plus difficile en médecine que dans aucune autre science ; mais par cela même, elle ne fut jamais dans aucune plus nécessaire et plus indispensable. » Si l’expérimentation médicale est complexe, c’est qu’elle fait intervenir le corps vivant, lui-même aux confins de la biologie, de la chimie, de la physique et de la psychologie les plus raffinées. Pour ces mêmes raisons, il est aisé d’errer en médecine : les médecins qui voyaient leur patient recouvrer la santé après une saignée croyaient sincèrement en leur acte. L’histoire de la saignée invite donc à l’humilité, et au développement de méthodes à même de garantir les connaissances médicales. L’un des fondements de cette médecine appuyée sur les preuves (Evidence-based medicine, EBM) qui a progressivement vu le jour, c’est la démonstration expérimentale de l’efficacité des thérapeutiques proposées.

Cette EBM dont Louis, Semmelweis ou Bernard sont d’incontestables précurseurs, repose sur une hiérarchie de la preuve : certaines méthodes sont moins probantes que d’autres, comme on peut aisément s’en douter. L’étude d’un cas particulier est ainsi moins forte que l’étude d’une cohorte, elle-même moins forte que des essais contrôlés randomisés (radomized control trials, RCT). Ces derniers constituent le sommet de la preuve, hors méta-analyses (une revue de tous les RCT effectués sur un traitement est encore plus forte que l’un de ces RCT pris isolément). Un RCT consiste à comparer deux thérapeutiques A et B (B pouvant éventuellement être une absence de traitement, donc un groupe placebo) pour déterminer, le cas échéant, lequel est le plus efficace. On se donne pour cela une population de malades que l’on divise en deux aléatoirement. De cette façon, si la population est assez importante, les deux groupes seront identiques (même moyenne d’âge, même ratio H/F, etc.). On administre au premier groupe la thérapeutique A et au second la thérapeutique B. Enfin, après s’être donné des critères d’évaluation, on compare l’état clinique des patients des groupes A et B. S’il existe une différence statistiquement significative (c’est-à-dire que l’on peut exclure qu’elle soit imputable à une simple variation due à l’échantillonnage), on peut alors en déduire la supériorité d’un traitement sur l’autre, puisque les deux groupes sont égaux par ailleurs. Pour amoindrir encore les risques de biais, on peut en plus s’astreindre à cacher au patient quel traitement il se voit administrer, voire au praticien lui-même jusqu’à la fin des traitements statistiques. Dans ce dernier cas, on parle de RCT en double-aveugle.

On en vient ainsi à définir un cadre d’enquête qui conditionne le caractère épistémique de toute croyance médicale : pour qu’une croyance médicale devienne une connaissance, il faut et il suffit que les raisons pour lesquelles on la croie consistent en des essais fiables, de type RCT. Cela ne signifie pas que les autres régimes de preuve soient à bannir : ils peuvent avoir un usage heuristique, en suggérant l’efficacité d’un traitement plutôt que d’un autre, ce qui s’avère d’autant plus utile que la mise en place de RCT est lourde et coûteuse. Contrairement à ce que l’on aimerait, la connaissance est moins affaire de tout ou rien que de degrés. Difficile, cependant, de soutenir un traitement qui n’aurait pas passé avec évidence le filtre d’un RCT ou d’une méta-analyse.

L’existence de méthodes fiables pour fixer les croyances oblige les praticiens. Ne pas s’y fier n’est pas qu’un problème scientifique ; cela devient un problème éthique. C’est en tout cas l’avis du philosophe et mathématicien William Kingdon Clifford, célèbre pour avoir publié en 1877 un essai sur l’éthique de la croyance13 dans lequel il affirme qu’« il est mauvais tout le temps, partout et pour tout le monde, de croire quoi que ce soit sur la base de preuves insuffisantes ». Pour parvenir à cette conclusion, Clifford prend l’exemple d’un armateur véreux. Celui-ci possède un navire vieillissant qui a déjà eu besoin de réparations, au point qu’il doute de ses capacités à traverser l’Atlantique sans encombre. Ces questionnements le gênent : l’armateur a besoin de faire partir le bateau afin d’alimenter ses affaires, et il n’a pas les moyens de le remettre à neuf. Il se convainc alors que ses peurs sont infondées, que la probabilité d’un naufrage est somme toute assez faible, et il laisse les passagers embarquer. Au milieu de l’océan, le navire s’abîme et tous succombent. Chacun s’accorde à juger que l’armateur est responsable de ces morts, estime Clifford : il aurait dû garantir davantage de sécurité en poussant les révisions du bateau plus à fond. Sa certitude, authentique, que le navire arriverait à bon port, ne résulte pas d’une enquête minutieuse mais d’un effort pour chasser ses craintes – or il n’avait pas le droit de croire que tout irait bien sur la base d’arguments aussi faibles.

Clifford va plus loin : quand bien même le navire aurait touché au but, l’armateur n’en serait pas moins en tort. Le philosophe estime qu’une action est bonne ou mauvaise indépendamment de ses effets, et qu’en l’occurrence elle est mauvaise précisément parce qu’elle est mal fondée. Si l’on revient à notre analyse de la connaissance, la position de Clifford se comprend aisément : ce qu’il soutient, c’est qu’il est mal d’entretenir des croyances qui ne soient pas des connaissances. Dit autrement, fonder ses actions sur des intuitions ou des superstitions n’est pas éthique, et pour cause : cela ne permet pas de garantir l’effectivité des actions ainsi fondées. Cela peut n’être pas dramatique lorsque les conséquences de l’action sont réduites à soi-même mais, dès lors qu’on fait intervenir autrui à l’instar de l’armateur, cela devient coupable. C’est encore vrai pour le clinicien. En vertu du principe de Clifford, il n’est pas moral, tout le temps, partout et pour tout le monde, de soigner ses patients sur la base de preuves insuffisantes. Une intuition géniale, une hasardeuse série de cas favorables, un artifice de communication ne constituent jamais des arguments suffisants pour justifier une thérapeutique – même si, par le plus heureux des hasards, cette thérapeutique devait se révéler efficace in fine.

C’est d’autant plus coupable que l’erreur, en médecine, ne pardonne pas toujours. Les anglo-saxons entendent, dans l’usage de la langue, combien tout médicament (drug) est aussi un poison. Paracelse écrivait dès 1538 que : « Toutes les choses sont poison, et rien n’est sans poison ; seule la dose fait qu’une chose n’est pas poison. »14 Ce qui rend une substance efficace est également ce qui doit nous inviter à la manipuler prudemment, et donc à n’en user qu’une fois acquise la certitude que ses effets positifs dépassent ses risques. L’attente de la certitude médicale, ou au moins d’un fort degré de certitude apporté par des essais robustes, peut sembler une exigence excessive, surtout lorsqu’une épidémie menace et qu’elle surprend un corps médical dépourvu de solution thérapeutique. La tentation d’outrepasser la méthode témoigne cependant d’un biais. À l’instant donné, l’usage d’un médicament non soutenu par l’expérience ne résulte pas d’une connaissance, mais d’une croyance. Il peut arriver que cette croyance s’avère, mais rien ne le garantit à défaut de justification. L’incertitude est telle qu’il est même difficile de dire si l’une ou l’autre alternative est plus vraisemblable. Ce sont deux alternatives incommensurables, un sommeil de la raison où la fortune seule décide d’épargner le malade ou de l’achever. Deux problèmes distincts, bien que parents, se posent alors : (1) Est-il éthique, lorsqu’on sait qu’un traitement A et supérieur à un traitement B, de mener un RCT pour prouver la supériorité de A sur B ? (2) Est-il éthique, lorsqu’on croit que A est le meilleur traitement, d’administrer A même en l’absence de preuve robuste de son efficacité ?

La réponse à la première question est évidente : si l’on sait qu’un traitement est meilleur, ne pas l’administrer est une faute, ce qui rend tout RCT impossible. Il convient cependant de bien comprendre ce que « savoir » veut dire : si l’on sait que A est un bon traitement, ce n’est pas seulement parce qu’on le croit sur la foi d’indices, mais parce qu’il a déjà été prouvé comme tel… par des RCT antérieurs. La question se corse lorsqu’on n’a pas encore de preuve évidente de l’efficacité du traitement. À ce stade, il existe des raisons qui poussent le chercheur à tester une approche plutôt qu’une autre, qu’il s’agisse de premières études encourageantes in vitro ou sur quelques cas, d’une intuition ou encore d’observations cliniques. Ces raisons laissent présager de l’efficacité de la pratique évaluée, et il pourrait dès lors sembler criminel de ne pas la proposer aux patients. A fortiori lorsqu’il n’existe pas d’alternative et que les effets néfastes du traitement sont connus et limités (c’est le cas, notamment, lors du repositionnement d’une molécule utilisée contre une autre pathologie).

Cette difficulté est au cœur de l’éthique des essais cliniques. Si l’on a en effet la conviction que le traitement A est supérieur au traitement B, il devient difficile de justifier qu’on administre le traitement B aux patients, fut-ce pour faire avancer la recherche. En bioéthique, un consensus s’est ainsi dégagé pour affirmer que les RCT ne sont moralement acceptables que lorsque rien ne permet de privilégier A à B. Cette situation d’ambivalence, d’équilibre parfait où aucune des deux alternatives ne se dégage, est appelée equipoise15. Condition préalable à la réalisation du RCT, cet équilibre est également ce que le RCT cherche à déstabiliser. Le problème, comme on l’a vu, c’est qu’il n’existe pas de situation où le praticien ne pense pas que l’une des options est meilleure – c’est même généralement ce qui motive la réalisation d’essais cliniques.

Ce problème de l’equipoise a trouvé sa réponse la plus convaincante chez Freedman16. Le recours aux essais a pour but de solder une querelle au sein de la communauté scientifique : certains estiment qu’un nouveau traitement serait efficace, d’autres non, et le but du RCT est de mettre tout le monde d’accord. Freedman propose d’appeler clinical equipoise, ou equipoise clinique, cette situation de désaccord au sein de la communauté. La plupart des acteurs auront certes un avis sur la question, ce qui implique que l’equipoise théorique ne soit pas remplie, mais aucun consensus n’existerait, ce qui justifie le recours à des RCT. L’equipoise clinique préserve ainsi l’éthique des essais tout en les rendant possibles et, même, nécessaires.

Cette avancée de Freedman peut se comprendre aisément à la lumière de l’analyse que nous livrions de la connaissance. Si les études de cas ou les essais in vitro ne sont pas considérées comme suffisamment robustes en EBM, c’est précisément parce qu’ils ne le sont pas, mais qu’ils peuvent utilement orienter la recherche. Ainsi, les intuitions des uns et des autres sont des croyances plus ou moins fondées, mais elles ne constituent jamais des connaissances, car elles n’ont pas atteint le degré de justification nécessaire à cela. En d’autres termes, l’equipoise clinique correspond à un régime scientifique dans lequel peuvent coexister plusieurs croyances contradictoires faute d’une enquête satisfaisante permettant à l’une d’entre elles d’accéder au rang de connaissance. Or, si des croyances peuvent guider la recherche, c’est bien la connaissance qui doit orienter le soin.

On serait toutefois tenté, en régime d’equipoise clinique, de dire qu’on ne perd rien à essayer le traitement s’il n’a pas d’effet secondaire handicapant – c’était notre seconde interrogation. Il y a cependant au moins deux raisons de résister à cet argument. La première, c’est qu’il n’y a pas de traitement totalement inoffensif, ou alors il ne s’agit pas d’un traitement efficace. Même les molécules les mieux connues et les moins dangereuses possèdent leurs risques – l’acétaminophène, ou paracétamol, n’est pas dénué de toxicité hépatique, par exemple. Dès lors, même si le risque est marginal, il sera toujours infiniment plus important qu’un éventuel bénéfice nul. La seconde raison tient dans la connaissance des effets secondaires : soit la molécule est nouvelle, et il serait présomptueux d’en affirmer l’innocuité ; soit il s’agit d’un repositionnement et, dans ce cas, l’usage immodéré d’une molécule par compassion pourrait en priver les malades qui l’utilisent pour traiter son indication initiale – c’est ce que l’on observe en France avec l’hydroxychloroquine, indiquée pour soigner la polyarthrite rhumatoïde et des maladies du collagène, notamment le lupus érythémateux, et qui a rapidement été en rupture suite aux débats autour du traitement du covid-19. Dans de rares cas, cependant, il peut être admis un traitement compassionnel, notamment lorsque le malade n’a plus rien à perdre et que son traitement ne priverait pas un autre. Dès lors, il devient possible d’agir en méconnaissance de cause puisque, quel que soit l’effet, il ne pourra jamais aggraver le pire (il pourra éventuellement être létal pour le malade, mais étant donné qu’il est condamné, cela ne peut être lu comme facteur aggravant)17.

Hormis ce cas très particulier, et si l’on accepte de guider la médecine avec sa raison et non son émotion, il convient de suivre le principe de Clifford : ce sont les connaissances, et non les croyances injustifiées, qui doivent guider le soin, quand bien même ces croyance seraient justifiées par la suite. Cela permet d’éclairer un peu les débats qui entourent, en France, l’usage de l’hydroxychloroquine associée à l’azithromycine dans le traitement du covid-19. L’hydroxychloroquine a démontré un large spectre d’efficacité in vitro – contre le virus Ebola, le VIH, le Mers-CoV ou le Sars-CoV, par exemple – mais aucun essai concluant n’a jamais réussi à démontrer son efficacité dans le traitement in vivo des pathologies engendrées par ces virus. Elle démontre encore son efficacité in vitro contre le Sars-CoV-2, responsable du covid-19, mais aucun RCT n’a pour l’heure permis d’en prouver l’efficacité in vivo. Cela ne signifie pas qu’elle n’est pas efficace, mais qu’on ne sait pas pour l’instant si elle l’est. On peut le croire, comme le professeur Raoult et ses épigones, mais l’absence de preuve sans appel empêche cette croyance de devenir jamais une connaissance. Par ailleurs, les risques associés à l’hydroxychloroquine sont biens réels, comme en témoigne le récent communiqué de l’Agence nationale du médicament18. Dans cette situation d’equipoise clinique, deux fautes morales doivent donc être évitées : ne pas mener de RCT pour lever l’equipoise, d’une part ; et considérer, pour ceux qui croient en cette thérapeutique, que leur croyance vaut savoir et les autorise de ce fait à utiliser en clinique leur traitement. En commettant cette dernière faute, certains médecins français nourrissent un populisme médical délétère, qui n’est bon ni pour la santé publique, ni pour la science.

  1. On ne parle ici que de connaissance propositionnelle, c’est-à-dire avec un « contenu ». Il existe également des connaissances pratiques, ou savoir-faire, que l’on passe sous silence. []
  2. Platon, Théétète, 201a. []
  3. Alain, Les idées et les âges, 1927. []
  4. Cf. notamment l’abondante littérature suscitée par l’article séminal d’Edmund Gettier : Edmund L. Gettier, « Is Justified True Belief Knowledge? », Analysis, vol. 23, no. 6, juin 1963, 121-123. []
  5. On retrouve une telle définition chez Peirce, qui l’hérite d’Alexander Bain, et chez les pragmatistes en général. Voir par exemple : Charles S. Peirce, « The Fixation of Belief », Popular Science Monthly, no. 12, novembre 1877, 1-15. []
  6. William James, Pragmatism: A New Name for Some Old Ways of Thinking, 1907. []
  7. Dans « The Fixation of Belief », Peirce prend ainsi la défense de la méthode scientifique. []
  8. Claude Bernard, Introduction à l’étude de la médecine expérimentale, 1865. []
  9. Voir par exemple les paragraphes consacrés à la médecine tout au long de : Yves Gingras, Peter Keating et Camille Limoges, Du scribe au savant : les porteurs du savoir de l’Antiquité à la révolution industrielle, 1998. []
  10. Cf. Bulletin de l’Académie nationale de médecine, 2017, 201, nos 4-5-6, 919-928, séance du 23 mai 2017. []
  11. Pierre-Charles Alexandre Louis, « Recherches sur les effets de la saignée dans plusieurs maladies inflammatoires », Archives générales de médecine, 1828, série 1, n° 18. []
  12. Cf. Carl G. Hempel, Éléments d’épistémologie, 1966. []
  13. William K. Clifford, « The Ethics of Belief », The Contemporary Review, janvier 1877, 289-309. []
  14. Paracelse, Septem Defensiones, 1538. []
  15. Charles Fried, Medical experimentation: personal integrity and social policy, 1974. []
  16. Benjamin Freedman, « Equipoise and the Ethics of Clinical Research », New England Journal of Medicine, Vol. 317, No. 3, 1987, 141-145. []
  17. Voir notamment : Considérations éthiques liées à l’utilisation d’interventions non homologuées contre la maladie à virus Ebola, rapport WHO/HIS/KER/GHE/14.1, 2014. []
  18. ANSM, Médicaments utilisés chez les patients atteints du COVID-19 : une surveillance renforcée des effets indésirables - Point d’information, 10 avril 2020 : « 53 cas d’effets indésirables cardiaques ont ainsi été analysés, dont 43 cas avec l’hydroxychloroquine, seule ou en association (notamment avec l’azithromycine). Ils sont classés en trois catégories : 7 cas de mort subites, dont 3 “récupérées” par choc électrique externe, une dizaine de troubles du rythme électrocardiographiques ou symptômes cardiaques les évoquant comme des syncopes, et des troubles de la conduction dont allongement de l’intervalle QT, d’évolution favorable après arrêt du traitement. » []