Garde à vue inconstitutionnelle

« Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne, doit être sévèrement réprimée par la Loi. »

- Article IX de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789

« Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n’est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution »

- Article XVI de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789

Ce vendredi 30 juillet, un peu avant 14 heures 30, le Conseil Constitutionnel a rendu publique sa décision 2010-14/22 QPC relative à la garde à vue, et c’est une décision grandement réjouissante. Les sages ont en effet estimé que les articles 62, 63, 63-1, 77, et les alinéas 1 à 6 de l’article 63-4 du code de procédure pénale, qui régissent la garde à vue de droit commun, ne sont pas conformes à la Constitution, en refusant toutefois de statuer sur l’alinéa 7 de l’article 63-4 et l’article 706-73, qui concernent eux la garde à vue en matière de terrorisme et de crime organisé, considérant qu’il les a déjà déclarés constitutionnels par sa décision 2004-492 DC. Bien conscient qu’en abrogeant la garde à vue dès publication au journal officiel de cette décision, le Conseil Constitutionnel aurait déclenché un chaos juridique inouï, il a reporté les effets de cette déclaration d’inconstitutionnalité au premier juillet 2011. Les sages de la rue Montpensier laissent donc un peu moins d’un an à la Chancellerie pour faire voter une nouvelle loi afin de faire évoluer notre code de procédure pénale pour réformer la procédure de la garde à vue, loi qui ne manquera pas de repasser entre les mains du Conseil une fois votée.

Cette abrogation différée est un soulagement. En effet, aujourd’hui, on abuse plus qu’on use de la garde à vue, son application s’étant effroyablement banalisée. Effroyablement, parce que celui qui décide du placement n’est ni plus ni moins qu’on officier de police judiciaire (OPJ), et qu’à aucun moment un magistrat du siège n’intervient lors du placement. Seul le Procureur est prévenu, et c’est lui qui décide du prolongement de 24 heures. Or, les faits divers se succèdent qui nous le prouvent, la Cour Européenne des Droits de l’Homme elle-même le soutient dans sa jurisprudence (arrêt Medvedyev c. France) : le Procureur, en France, pays de Montesquieu, ne peut pas être considéré comme indépendant du pouvoir exécutif. La banalisation de la garde à vue, son usage à outrance et le fait que le Parquet la dirige fait courir un risque grave, comme l’ont fort bien souligné les avocats venus plaider devant le Conseil le 20 juillet dernier : le risque de l’arbitraire.

Qui plus est, comme le soulignaient ces mêmes avocats, les conditions de détention sont terrifiantes. Locaux souvent vieux, pour ne pas dire insalubres, sentant l’urine. Si, comme l’affirme cette citation souvent prêtée à Camus, « une société se juge à l’état de ses prisons », nous avons du souci à nous faire tant les geôles de la République semblent tout droit sorties d’un autre âge. Associées au traumatisme d’être privé de liberté, à l’angoisse d’être enfermé, coupé du monde, ne pouvant plus passer qu’un coup de téléphone, ces conditions inhumaines de détention font de la garde à vue, pourtant exagérément employée, une expérience marquante, psychologiquement et physiquement, qui bouleverse une personne innocente, car à ce stade elle est encore présumée l’être. Peut-on seulement décrire par des mots ce qui, il faut l’avouer, est une torture institutionnalisée ? Quand bien même, ces mots seraient sans doute bien trop violents. Bien trop crus. Car la réalité des conditions est telle.

Et la victime de ce système est abandonnée à sa solitude angoissée, ballotée entre sa cellule dégueulasse et des interrogatoires invasifs, acculée par des questions auxquelles elle ne sait que répondre ; auxquelles, parfois, elle ne comprend même rien. Quand elle sort de l’atmosphère pesante, puante, de sa petite pièce pour rencontrer l’OPJ, c’est à peine une bouffée d’air frais qui la réconforte, car immédiatement dans le bureau, considérée bien souvent comme déjà-coupable, devant avouer, un poids aussi lourd que sont sales les cellules s’effondre sur elle : l’interrogatoire. La garde à vue est un rouage vicieux de cette Inquisition moderne qu’est la quête effrénée de l’Aveu. Car c’est là le point clé : notre justice fonctionne à l’aveu, la reine des preuves. Et l’aveu, elle le cherche avec une telle violence qu’il en devient, ipso facto, suspect. Garde à vue, ce n’est qu’un autre nom pour orner une pratique sensiblement identique à celle de l’Inquisition. Car rejeté par la houle policière entre le rocher des questions et la falaise des conditions inhumaines de sa détention, plongé dans un système aux relents kafkaïens, quand sa tête émerge de l’eau, pour mettre un terme à tout cela, pour arrêter le massacre, pour que tout cesse, le suspect hurle « C’est moi ! » Quand bien même ce ne serait pas lui ! Que valent des Aveux obtenus par la force ? Et quelle confiance avons nous dans nos dossiers pour ne nous fier, en fin de comptes, qu’aux Aveux ?

Cela, c’est la solitude du gardé à vue qui le permet ; c’est la manifeste négation des droits de la Défense qui en est à l’origine. En effet, le gardé à vue est livré à lui-même : l’avocat est loin d’être le bienvenu lors de la garde à vue. Il n’a pas accès au dossier de son client. Il ne peut l’entrevoir qu’une petite demi-heure. Bien souvent, il arrive trop tard, quand son client a déjà parlé. L’un des avocats venus devant le Conseil le 20 juillet a exprimé de manière poignante cela, nous disant qu’il arrivait, qu’un officier lui disait un nom, « Dupont » ; un méfait, « vol » ; l’endroit où il croupissait, « cellule deux ». Et c’est tout. L’avocat retrouve alors un client angoissé, tendu, qui voudrait savoir ce qu’il risque. Et l’avocat fait alors la dure expérience de l’impuissance. Ce que risque son client, sans le dossier, il n’en sait rien. Ce qu’il peut faire pour lui et pour sa Défense : rien. À part l’écouter, le rassurer, s’assurer qu’il a mangé, qu’il va bien. Lui dire, parce que les OPJ l’omettent souvent, qu’il a le droit de garder le silence. Et déjà on vient le retirer de la cellule, les trente maigres minutes s’étant bien vite écoulées, écroulées. Il est impossible dès lors de bâtir une Défense. Et pourtant, c’est dans ces quelques heures de garde à vue que, souvent, se scelle le destin du suspect. Tout ce qu’il a dit sera utilisé contre lui ; pour peu qu’il ait avoué, désespéré, il aura à trainer tout au long du procès un boulet qui, sûrement, le coulera aussi au prononcé du jugement. Et cet instant si crucial pour le jugement final, il se déroule hors la présence d’un quelconque Défenseur. Le Conseil Constitutionnel le reconnait lui-même dans son communiqué de presse de ce jour :

« La proportion des procédures soumises à une instruction préparatoire représente désormais moins de 3% des dossiers. Dans le cadre du traitement dit ”en temps réel” des procédures pénales, une personne est aujourd’hui le plus souvent jugée sur la base des seuls éléments de preuve rassemblés avant l’expiration de sa garde à vue. Celle-ci est devenue la phase principale de constitution du dossier de la procédure en vue du jugement de la personne mise en cause. »

N’est-il pas choquant que, lors de « la phase principale de constitution du dossier », l’avocat soit exclu ? Un telle négation des droits de la Défense est-elle acceptable dans notre République ? Est-ce là bien ce que l’on attend d’un État de droit et de justice ? Bien sûr que non. Et c’est ce qu’ont dit, aujourd’hui et fort heureusement, les sages du Conseil.

La décision est claire, elle est fondée sur la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, comme le résume le considérant 29 (souligné par nous) :

« les articles 62, 63, 63-1, 63-4, alinéas 1er à 6, et 77 du code de procédure pénale n’instituent pas les garanties appropriées à l’utilisation qui est faite de la garde à vue compte tenu des évolutions précédemment rappelées ; qu’ainsi, la conciliation entre, d’une part, la prévention des atteintes à l’ordre public et la recherche des auteurs d’infractions et, d’autre part, l’exercice des libertés constitutionnellement garanties ne peut plus être regardée comme équilibrée ; que, par suite, ces dispositions méconnaissent les articles 9 et 16 de la Déclaration de 1789 et doivent être déclarées contraires à la Constitution »

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  1. Est-ce qu’on connait la proportion de condamnés après aveux sur le nombre de suspects qui ont avoué. Dit autrement, est-ce qu’on a une vague idée de la proportion avérée de personnes ayant avoué un crime qu’elles n’ont pas commis ?

  2. À ma connaissance, il n’existe pas de statistiques précises. Et même si on connait des exemples célèbres, de telles statistiques me paraissent complexes à établir.
    On lira par exemple http://psychotemoins.veille.inist.fr/spip.php?article283 où l’on apprend que « 20 à 25 % des prisonniers disculpés par des analyses ADN ont été condamnés après de fausses confessions ». Ce n’est donc pas un cas extrêmement rare que l’on pourrait négliger.
    On trouve aussi quelques articles sur les faux aveux ici : http://psychotemoins.veille.inist.fr/spip.php?rubrique30

  3. Un site intéressant, merci de me l’avoir fait découvrir.

    Quant à la complexité qu’il y aurait à établir une telle donnée statistique, tout dépend ce qu’on entend par là, car finalement il ne s’agit que de deux informations factuelles à compiler :
    - est-ce que le prévenu a avoué en garde à vue ?
    - est-ce que le prévenu a finalement été condamné ?
    (étant entendu que le résultat obtenu serait inférieur au nombre réel de condamné à tort après aveux)

    Soit là on déborde sur la question de l’opendata et de la bonne volonté des pouvoirs publics, mais l’existence même de la grande difficulté à effectuer cette simple division en dit long…

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