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Abolir l’impôt, liturgie et évergétisme gréco-latins

La démocratie athénienne avait recours, jusqu’à l’époque hellénistique, à un mode de financement original : la liturgie. Elle consistait à confier à un riche citoyen – le liturge – une charge publique (organisation de festivités, construction d’édifices, entretien de navires de guerre, …) pour qu’il la finance et en assure la réalisation. Au lieu d’un impôt passif et déconnecté de la charge, que n’aurait de toute façon pas permis la désorganisation des premiers temps de la démocratie, la liturgie permettait de conserver une forme de liberté pour les citoyens tout en simplifiant l’organisation budgétaire de la cité.

Si l’on en croit Matthew Christ1, il faut penser la liturgie un peu sur le mode de nos délégations de service public contemporaines, la rémunération du délégataire en moins : c’est bien la cité qui définit la charge, dont elle confie l’exécution à un prestataire privé. Elle lançait pour chaque charge un appel au volontariat (une forme d’appel d’offre) à laquelle les liturges pouvaient postuler. Des magistrats s’assuraient ensuite de sélectionner le candidat le plus à même de financer et d’organiser la charge en question, comme on attribuerait aujourd’hui une concession ou un marché. Les charges non pourvues étaient attribuées d’office par les magistrats à certains liturges.

  1. Matthew R. Christ, « Liturgy Avoidance and Antidosis in Classical Athens », Transactions of the American Philological Association, Vol. 120 (1990), pp. 147-169. []

Aristote et l’âme

Les plantes, les animaux non-humains et les hommes partagent une propriété étonnante : ils croissent d’eux-mêmes, se multiplient, se meuvent même parfois, et tout cela sans qu’on les y force. C’est en eux qu’ils recèlent cette puissance mystérieuse qui fait la vie, ce souffle qui anime, ou pour parler comme les anciens, cette âme1. Pour comprendre la vie, il s’avère essentiel de clarifier ce qu’est cette âme, une tâche à laquelle s’attelle Aristote dans son traité De l’Âme. Il y livre cette définition fort cryptique, que notre propos aura pour vocation d’éclairer : l’âme est « l’entéléchie [entelekheia, ἐντελέχεια] première d’un corps naturel organisé » (DA, 412b5). Notre incursion dans la pensée du Stagirite2 montrera en quoi elle conserve, malgré la distance temporelle qui nous en sépare, une certaine actualité.

  1. « Âme » provient du latin « anima », le souffle ; « esprit » provient du latin « spiritus », qui réfère aussi au souffle. []
  2. Aristote est né à Stagire, ce qui lui vaut cette désignation. []

Les deux chagrins d’Alexandre, l’amour en Grèce à l’âge classique

À Jérémy Moreau, καλὸς κἀγαθός.

Alexandre le Grand a pleuré au moins deux morts : celle de Bucéphale, sa monture qui était réputée ne craindre que son ombre, et celle d’Héphaistion, son camarade de toujours. Son plus fidèle animal et son meilleur amant. Le premier, emporté dans la sanglante bataille des éléphants, sur les rives de l’Hydaspe ; le second, anéanti par le périple du retour à travers l’aride Gédrosie. Pour célébrer Héphaistion, Alexandre multiplie les références à la mort de Patrocle : il lui dresse un fastueux bûcher funéraire, coupe quelques-uns de ses cheveux bouclés comme ceux d’Achille. À Bucéphale, il rendit plus d’honneurs qu’aux centaines de soldats tombés lors de la même bataille ; non loin du lieu de sa mort, il fit même édifier une de ses fameuses « Alexandrie ». Comme l’Achille du plus célèbre aède, dont l’amour est surtout signifié par l’immense chagrin qui entoure le deuil, c’est par l’ampleur de la tristesse que se manifestent les deux grandes passions d’Alexandre ; un amour inconditionnel pour la bête qui partagea ses joies et ses doutes depuis sa plus tendre enfance ; un amour érotique pour son plus vieil ami qui l’accompagnait déjà aux leçons d’Aristote.

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